Interview par Les Echos sur les erreurs types du bulletin de paie

19 septembre 2025
Merci à Corinne Dillenseger du journal Les Echos de m’avoir interrogé sur le bulletin de paie et le droit des salariés ⤵️

« La fiche de paie parfaite est plutôt rare »… Ces erreurs de l’employeur qui peuvent vous pénaliser

Souvent négligée, la fiche de paie est bien plus qu’un document comptable. Elle constitue une preuve précieuse, un levier de négociation et parfois même un atout en cas de conflit avec l’employeur. A condition d’agir dans les délais et de bien connaître ses droits.

Par Corinne Dillenseger

Le saviez-vous ? La fiche de paie parfaite est plutôt rare. « Sur deux bulletins que j’analyse, l’un contient une anomalie », constate Jérémie Aharfi, avocat en droit du travail au barreau de Toulouse. Parfois, il s’agit de simples erreurs techniques vite corrigées. Mais certaines irrégularités peuvent léser le salarié et avoir des conséquences financières lourdes, notamment lorsque les erreurs s’accumulent au fil des années.

Curieusement, elles ne sautent pas tout de suite aux yeux du salarié. « C’est lorsque la relation avec son employeur se tend qu’il commence à s’y intéresser, à l’occasion d’une restructuration, d’une renégociation de la rémunération variable ou face à des objectifs jugés inatteignables », énumère l’avocat. Et là, les constats peuvent s’enchaîner : primes oubliées ou supprimées, congés mal comptabilisés, indemnités de télétravail floues…

Une preuve non suffisante

Pour autant, il ne suffit pas de pointer des anomalies, des oublis ou des incohérences sur sa fiche de paie, pour obtenir gain de cause. « C’est une preuve, mais ce n’est jamais une preuve absolue », prévient Jérémie Aharfi. Ni l’employeur, ni le salarié ne peuvent s’y référer exclusivement. D’autres pièces sont indispensables : contrat de travail, avenants, mails, tableaux d’horaires… ».

C’est surtout la répétition de l’erreur qui fait foi. « L’accumulation de bulletins erronés identiques sur plusieurs mois montre qu’il ne s’agit peut-être pas d’une simple coquille », souligne l’avocat.

Ancienneté, forfait-jours, variables… les points à vérifier

Plusieurs mentions doivent attirer l’attention des salariés. Comme l’ancienneté. Jérémie Aharfi cite l’exemple d’une cadre ayant travaillé vingt ans dans une entreprise, puis étant partie deux ans ailleurs, avant de revenir. « Elle peut faire valoir la reprise de son ancienneté, qui apparaissait chaque mois sur ses anciens bulletins, même si son contrat de travail ne mentionne pas explicitement cette reprise », pointe l’expert.

Le temps de travail est un autre sujet sensible. De nombreux cadres au forfait-jours voient figurer 151,67 heures sur leur bulletin. Pour l’avocat, « s’il n’y a pas de convention de forfait signée et répondant au cadre imposé par la réglementation, le forfait-jours est invalide et les heures supplémentaires deviennent réclamables avec les majorations prévues par la loi ou la convention collective ».

La rémunération variable et les primes méritent aussi d’être contrôlées. Certaines entreprises qualifient des primes d’« exceptionnelles » pour éviter qu’elles n’entrent dans le champ contractuel. Conséquences pour le salarié, une baisse du salaire mensuel de référence servant de calcul aux indemnisations chômage ou de rupture du contrat de travail. « Mais si une prime est versée chaque année de façon stable, elle n’a rien d’exceptionnelle et on peut démontrer qu’elle fait partie de la rémunération contractuelle », observe-t-il.

Quant aux avantages en nature comme la voiture de fonction, leur absence ou leur sous-évaluation dans la fiche de paie peut dissimuler des cotisations sociales impayées. « Parfois, certains employeurs les versent sous forme de frais ou d’indemnités pour réduire les charges », note Jérémie Aharfi. Là aussi, les répercussions peuvent être lourdes pour le salarié, avec une baisse des indemnisations chômage, maladie, prévoyance, vieillesse.

Enfin, les périodes d’arrêt maladie entraînent souvent des erreurs de calcul complexes, entre les indemnités de la Sécurité sociale et les complémentaires prévoyance. « Certains salariés découvrent des régularisations bancales plusieurs mois après leur retour dans l’entreprise », précise-t-il.

Trois ans pour agir

Les salariés disposent d’un délai de trois ans pour faire valoir leurs droits. « On peut remonter sur trente-six mois à partir de la saisine des prud’hommes, même après avoir quitté l’entreprise », rappelle l’avocat Jérémie Aharfi. Ce laps de temps peut paraître confortable, mais il s’avère parfois court, car les cadres tardent souvent à se pencher sur ces questions. « Or, plus on agit tôt, plus les preuves sont faciles à rassembler », prévient-il.

Avant d’engager une action en justice, les salariés peuvent solliciter un avocat spécialisé en droit du travail, se tourner vers un défenseur syndical, un membre du CSE ou encore l’inspection du travail, « même si cette dernière ne fournit pas de consultations personnalisées ».

Si la voie judiciaire la plus directe consiste à saisir les prud’hommes, il faut savoir que dans de nombreux cas, les conflits se résolvent en amont. « La majorité de mes clients préfère s’engager dans une négociation avant d’aller au contentieux. On parvient souvent à un accord », indique l’avocat.

Dernier conseil : conserver l’ensemble de ses feuilles de salaire. « Beaucoup d’entreprises les dématérialisent via des coffres numériques. Il faut absolument en conserver une copie et vérifier que chaque bulletin correspond bien aux sommes perçues », insiste Jérémie Aharfi. Ces documents constituent la mémoire de toute une carrière et peuvent aussi se révéler déterminants au moment de la retraite.

Corinne Dillenseger

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