Forfait jours et temps de travail : attention danger !

19 février 2017

 

En matière de durée du travail, la convention de forfait en jours est à l’origine de nombreux contentieux.

Pour être mises en place au sein d’une entreprise, les conventions de forfait jours doivent être prévues par un accord collectif d’entreprise ou à défaut, de branche, dont le contenu se limite à fixer :

  • les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait jours ; 
  • la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi et qui ne peut excéder 218 jours par an ;


Outre cet accord collectif, une convention individuelle de forfait jours doit toujours être établie par écrit et signée par le salarié.

Salariés, il convient de rappeler que lorsque vous concluez une convention de forfait annuel en jours vous n’êtes pas concernés par la durée légale hebdomadaire du travail (35 h). En outre, vous êtes exclus du bénéfice des heures supplémentaires et même des durées maximales journalières (10 h par jour) et hebdomadaires (48h par semaine) du travail.

Cependant, vous bénéficiez des mêmes droits au repos quotidien (11H) et hebdomadaire (35h) que les autres salariés.

Dès lors, des problématiques peuvent apparaître si la charge de travail du salarié forfaitisé est grande, puisque ce dernier n’étant bénéficiaire que d’un droit au repos minimum, il peut être amené à effectuer jusqu’à 78 heures de travail par semaine …

En pratique, la plupart des accords collectifs sont très succincts sur la définition des forfait-jours et ne définissent pas précisément les modalités du suivi de la charge de travail ou les durées maximales et les temps de repos adaptés au niveau d’activité du cadre afin de préserver sa santé

A ce titre, sachez que la Cour de Cassation a invalidé entre 2011 et 2015 plusieurs accords collectifs traitant du forfait jours :

– la convention collective des Industries Chimiques, car elle se borne à affirmer que les cadres soumis à un forfait en jours sont tenus de respecter la durée minimale de repos quotidien et hebdomadaire (Soc. 31 janvier 2012, n°10-19.807),

– l’accord de branche des Aides familiales rurales et personnel de l’aide à domicile en milieu rural, car il ne  prévoyait pas les modalités de suivi et d’application des conventions de forfait en jours (Soc. 13 juin 2012, n°11-10.854),

– la convention collective du Commerce de Gros, qui ne prévoit qu’un entretien annuel avec le supérieur hiérarchique et un examen trimestriel s’agissant de l’amplitude et de la charge de travail (Soc. 26 septembre 2012, n°11-14.540),

– la convention collective des Bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs conseils et des sociétés de conseil (SYNTEC), car elle n’est pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié (Soc. 24 avril 2013, n°11-28.398),

– la convention collective des entreprises de Bâtiments et Travaux Publics, qui prévoit seulement qu’il appartient aux salariés de tenir compte des limites journalières et hebdomadaires et d’organiser leurs actions dans ce cadre et en cas de circonstances particulières d’en référer à leur hiérarchie de rattachement (Soc. 11 juin 2014, n°11-20.985),

– la convention collective du Commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire, qui se contente, pour l’exercice du droit au repos des salariés, de prévoir l’organisation de l’activité du salarié sur cinq jour hebdomadaires (Soc. 4 février 2015, n°13-20.891).

Salariés, si, au regard de ces jurisprudences, l’accord collectif que vous appliquez est invalidé ou susceptible d’être invalidé, il faut immédiatement en cesser l’application et reprendre le décompte du temps de travail du salarié selon l’horaire légal.

Dès lors, si vous vous êtes vu appliquer une convention de forfait illicite, vous pouvez réclamer le paiement d’heures supplémentaires et une indemnité de travail dissimulé.

Attention, on considère alors que la rémunération forfaitaire contractuelle est conclue pour 35 heures hebdomadaires (ou 151,67 heures mensuelles), ce qui majore considérablement le taux horaire du salarié.

 Cependant, l’accord invalide instituant le forfait peut avoir été »régularisé ».

S’il s’agit d’un accord d’entreprise ou d’établissement, celui-ci peut avoir été révisé, pour satisfaire aux exigences de la jurisprudence.

S’il s’agit d’une convention collective ou d’un accord de branche, il peut avoir été complété par un accord d’entreprise ou d’établissement, qui viendrait rajouter des stipulations assurant la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

Il convient donc de vous rapprocher  de votre employeur pour connaitre les accords qui vous sont applicables.

Comment alors rendre possible l’exécution d’une mission de travail dans le cadre d’un forfait jours en garantissant une durée de travail « raisonnable » ?

C’est pour répondre à cette question entre autre, que la loi El Khomri ou loi Travail publiée au journal officiel le 9 août 2016, a intégré la jurisprudence rendue par la Cour de Cassation depuis 2011, en édictant que les accords collectifs doivent nécessairement déterminer « les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié » et dans le même temps que « l’employeur doit s’assurer régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail. »

Par conséquent, depuis l’application de la loi Travail :

Soit l’accord collectif (convention collective, accord d’entreprise etc.) comporte certaines dispositions relatives aux :

– modalités d’évaluation et de suivi régulier de la charge de travail du salarié ;
– modalités de communication périodique entre l’employeur et le salarié ;
– modalité d’exercice du droit à la déconnexion.

(Article 3121-64 du code du travail)

Soit à défaut, l’employeur doit unilatéralement :   


– établir un document de contrôle du temps de travail du salarié ;
– s’assurer de la compatibilité de la charge de travail avec les temps de repos ;
– organiser un entretien par an afin d’évoquer la charge de travail, l’organisation de son travail, et l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération ;
– définir les modalités d’exercice du droit à la déconnexion, sachant que dans les entreprises d’au moins 50 salariés, ces modalités doivent être conformes à la charte visée par L. 2242-8 du Code du travail.

(Article 3121-65 du code du travail)

A ce titre, deux arrêts très récents de la Cour de Cassation qui méritent notre attention, ont précisé le cadre de certaines obligations mises à la charge de l’employeur et sur ses conséquences en cas d’inexécution :

  • Il a été jugé qu’un relevé déclaratif mensuel signé par le supérieur hiérarchique et validé par le service de ressources humaines, assorti d’un dispositif d’alerte de la hiérarchie en cas de difficulté, avec possibilité de demande d’entretien auprès du service de ressources humaines permet le suivi et le contrôle de la charge de travail. (Arrêt de la Cour de cassation du 8 septembre 2016, n° 14-26.25)
  • Il a été jugé que, dès lors que les règles relatives au repos dont doivent bénéficier les salariés, n’ont pas été respectées pendant l’exécution de la convention de forfait en jours, que l’employeur n’a pas organisé d’entretien portant sur la charge de travail du salarié, sur l’organisation du travail dans l’entreprise et l’articulation entre la vie professionnelle et personnelle et que l’employeur n’établit pas avoir pris  de mesures effectives pour remédier à la surcharge de travail évoquée par le salarié au cours de l’entretien annuel prévu par l’article L 3121-46 du Code du travail, la convention de forfait est alors privée d’effet. Dans ce cas, le salarié peut prétendre au paiement d’heures supplémentaires (Arrêt de la Cour de Cassation du 25-1-2017 n° 15-21.950).

Notez pour finir les autres innovations apportées par la loi Travail sur le forfait jours :

  • La rémunération doit être en rapport avec les sujétions qui sont imposées au salarié. A défaut, ce dernier peut saisir le juge judiciaire afin que lui soit allouée une indemnité calculée en fonction du préjudice subi, eu égard notamment au niveau du salaire pratiqué dans l’entreprise, et correspondant à sa qualification. (Article L. 3121-61 du code du travail);
  • Le nombre de jours travaillés fixé ne peut être supérieur à 218 jours;
  • Le salarié qui le souhaite peut, en accord avec son employeur, renoncer à une partie de ses jours de repos en contrepartie d’une majoration de son salaire. L’accord entre le salarié et l’employeur est établi par écrit et détermine le taux de la majoration applicable à la rémunération de ce temps de travail supplémentaire, sans qu’il puisse être inférieur à 10 % (Article L. 3121-59 du code du travail)

En conclusion, employeurs, votre obligation de résultat en matière de sécurité et de santé  à l’égard de vos salariés vous oblige à permettre une charge de travail  compatible avec un temps de travail raisonnable et le temps de repos permis au salarié au forfait jours.

Dans le cas contraire, vous pourriez faire face soit à une demande de rappel de salaires sur les trois dernières années de travail soit à une demande de dommages intérêts du salarié devant la juridiction prud’homale.

Mise à jour du 03.07.17 :

Répond aux exigences relatives au droit du travail et au droit à la santé et au repos, l’accord collectif relatif à l’organisation du temps de travail des cadres relevant du statut d’autonomie, prévoyant que ces personnels sont soumis à un forfait annuel en jours évalué à 209 jours par an et que (Cass. soc. 22-6-2017 n° 16-11.762 FS-PB) :

– les cadres sont tenus de déclarer régulièrement dans le logiciel « temps » de l’entreprise le nombre de jours ou de demi-journées travaillées ainsi que le nombre de jours ou de demi-journées de repos et qu’une consolidation est effectuée par la direction des ressources humaines pour contrôler leur durée de travail ;

– au cours de l’entretien annuel d’appréciation, le cadre examine avec son supérieur hiérarchique la situation du nombre de jours d’activité au cours de l’exercice précédent au regard du nombre théorique de jours de travail à réaliser, les modalités de l’organisation, de la charge de travail et de l’amplitude de ses journées d’activité ainsi que la fréquence des semaines dont la charge a pu apparaître comme atypique ;

– toutes mesures propres à corriger cette situation sont arrêtées d’un commun accord et que s’il s’avère que l’intéressé n’est pas en mesure d’exercer ses droits à repos, toute disposition pour remédier à cette situation sera prise d’un commun accord entre le cadre concerné et son manager.

Mise à jour du 25.02.18 : d’après un amendement surprise à la 6ème ordonnance-balai sur la réforme du Code du travail, définitivement adoptée le 14.02.18, une entreprise pourrait imposer à ses salariés, le forfait jours, après avoir signé un accord de compétitivité. (accords d’ailleurs mis en place par les ordonnances Macron).

Résultat : Pour l’employeur, plus d’avenant et plus d’accord nécessaire du salarié s’il veut organiser un décompte du temps du travail au forfait jours . En cas de refus du salarié, le licenciement sera possible.

En l’état actuel, le forfait jours doit être mis en place par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche complété. Parallèlement, chaque salarié doit signer une convention individuelle de forfait. S’il refuse, l’employeur ne peut ni lui appliquer d’office, ni le sanctionner.

Est-ce donc la fin de l’accord in fine du salarié lorsque l’on modifie un élément essentiel du contrat de travail comme le temps de travail ou la rémunération? Comment interpréter cet amendement au vu de la jurisprudence actuellement abondante sur ce thème et notamment sur l’obligation mise à la charge de l’employeur de veiller à la durée et à la charge de travail du salarié cadre, même soumis à une convention de forfait en jours?

Salariés cadres et employeurs doivent rester attentif à la possibilité qui serait offerte  à ces derniers d’imposer unilatéralement une convention de forfait aux jours au salarié.

Mise à jour du 20.03.18 :

Il semble selon une réponse officieuse apportée par le Ministère du travail que les accords de performance collective pourraient permettre à l’employeur de modifier unilatéralement le quantum des jours travaillés par le salarié déjà soumis à une convention de forfait en jours. Le refus du salarié constituerait une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Cependant, le passage par l’employeur du salarié d’un temps horaire à une convention de forfait en jours, pour le salarié non soumis jusqu’ici au forfait, continuerait de constituer une modification du contrat de travail nécessitant l’accord du salarié.

Les textes de la loi de ratification restent flous, il faudra attendre donc la position officielle (circulaire) du Ministère.

Dans tous les cas, chaque situation est unique et l’assistance d’un avocat expert en droit du travail est fortement conseillée que vous soyez employeur ou salarié afin de faire valoir vos droits..

Maître Jérémie AHARFI- Avocat droit du travail Toulouse 

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