Interview par « Les Echos » sur le sujet du congé menstruel en France – 8 mars 2023

24 juillet 2023

DÉCRYPTAGE
Trois questions sur le congé menstruel, qui prend du galon sur le marché du travail.


Si l’Asie du sud-est est la pionnière en la matière, l’Espagne est le premier pays européen à avoir fait inscrire le congé menstruel dans son Code du travail. Ce nouveau dispositif, destiné à soulager les femmes aux menstruations douloureuses, est pourtant sujet à controverses.


Les Françaises se disent favorables à 68 % pour la mise en place d’un congé menstruel, selon un sondage IFOP réalisé en 2021. (iStock)


Par Neïla Beyler
Publié le 8 mars 2023


S’il existe depuis des décennies dans certains pays du monde, le congé menstruel est proposé à la marge sur le marché du travail français. De quoi s’agit-il ? Bénéficie-t-il réellement aux femmes ? Si non, quels sont ses inconvénients ? Voici trois questions sur le sujet des règles, qui reste encore très tabou aujourd’hui en général en France, et plus particulièrement en entreprise.

  1. Qu’est-ce que le congé menstruel ?
    Il s’agit d’un nouveau dispositif qui permet aux employées de s’absenter pendant leurs règles. Ce congé, rémunéré ou non, est différent d’un congé maladie habituel. Il est attendu que les femmes s’en emparent si elles sont dans l’incapacité de travailler – en cas de migraines ou de douleurs handicapantes par exemple.
    Mais la mesure étant récente, il n’existe pas encore de définition précise la concernant, et des questions fondamentales subsistent : qui est concerné ? faut-il un justificatif ? pour combien de jours ? En France, « faut-il l’inscrire dans le Code du travail , ou va-t-on laisser l’employeur intervenir ? », s’interroge Jérémie Aharfi, avocat en droit du travail. « Quel serait le rôle de la CPAM ? La salariée devrait-elle à chaque fois consulter un médecin pour obtenir un arrêt de travail ? Et dans ce cas, que fait-on des jours de carence ? ». L’avocat plaide pour un fonctionnement basé sur « un système de confiance déclaratif », inscrit dans la charte de l’entreprise, pour faciliter le processus.
    Au Japon, précurseur en la matière, le droit au congé menstruel est inscrit dans la loi depuis 1947. Les entreprises ne peuvent forcer une employée à travailler si elle demande à être en congé menstruel. Il n’y a pas de limite au nombre de jours qui peuvent être pris pour ces congés mais ils ne sont généralement pas payés. 30 % des entreprises proposent de rembourser entièrement ou partiellement ces congés périodiques, selon une étude du ministère japonais du Travail, réalisée en 2020 sur 6.000 entreprises. Cette enquête avait alors établi que seulement 0,9 % des employées éligibles déclaraient s’en être servies, les salariées redoutant d’être victimes de discriminations et bloquées sur le front des salaires et des promotions.
  2. Que proposent les autres pays l’ayant adopté ?
    Si le congé menstruel existe également dans le Code du travail en Corée du Sud (un jour par mois non payé) et en Indonésie (un ou deux jours payés), ceux-ci laissent la mise en oeuvre de ce dispositif, dans le détail, aux entreprises et à leurs salariés.
    Plus récemment, l’Espagne a été le premier pays d’Europe à l’introduire officiellement. Concrètement, cette loi permet « l’arrêt de travail d’une femme en cas de règles incapacitantes » liées, par exemple, « à des pathologies comme l’endométriose » et sera « reconnu comme une situation spéciale d’incapacité temporaire » de travail. Le texte ajoute : « il s’agit d’accorder à cette situation pathologique une régulation adaptée afin d’éliminer tout biais négatif » pour les femmes « dans le monde du travail ».
    Dans les pays où il n’existe pas de politique nationale, comme en France, au Royaume-Uni et en Australie, certains employeurs ont mis en place leur propre politique : un jour de congé payé par mois, qui nécessite l’accord préalable d’un supérieur hiérarchique. D’autres donnent le choix à leurs employées : prendre un jour de congé ou télétravailler par exemple.
  3. Cette mesure sert-elle réellement la cause des femmes ?
    Si le congé menstruel ne fait pour l’instant l’objet d’aucune loi, les Françaises se disent favorables à 68 % pour sa mise en place, dans un sondage IFOP réalisé en 2021. Reste à définir les contours de cette mesure. Quid de celles qui ne sentiront pas à l’aise à l’idée de parler de leur cycle à leur employeur ? Dans une grande entreprise, les ressources humaines peuvent servir de pare-feu, mais dans les TPE, la question peut être épineuse.
    « En France, l’héritage féministe a consisté à effacer les spécificités biologiques des femmes, mais la réflexion actuelle consiste à remettre leur expérience quotidienne au centre des débats. Maintenant qu’elles ont progressé, pour ce qui est de représentation sur le lieu de travail , l’objectif est de dépasser la quantité pour aller vers de la qualité », analyse Aline Boeuf, doctorante au département de sociologie de l’Université de Genève.
    Pour elle, le congé menstruel peut aussi être problématique car en ne visant que les femmes avec des troubles très forts, cela invisibilise toutes les variations possibles ressenties par une femme pendant les menstruations. « Il y a autant de possibilités que de femmes, et c’est compliqué de faire rentrer toutes ces expériences dans une seule loi – la réalité n’est pas aussi simple et uniforme », prévient-elle.

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