L’employeur est-il lié par les précisions du médecin du travail postérieures aux avis d’inaptitude ?

22 janvier 2016

Les articles L.1226-2 (inaptitude d’origine non professionnelle) et L.1226-10 (inaptitude d’origine professionnelle) du Code du Travail affirment de manière claire que :

  • Seul le médecin du travail est compétent pour apprécier l’inaptitude médicale du salarié à son poste de travail. La Cour de cassation est venue réaffirmer cette compétence exclusive. (Cass.soc., 9 octobre 2011, n°98-46.144);
  •  L’employeur doit proposer dans son offre de reclassement un poste « approprié aux capacités« du salarié;
  • La proposition de reclassement par l’employeur doit prendre en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur l’aptitude du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise.

En outre, la Cour de Cassation impose à l’employeur de jouer un rôle actif auprès du médecin du travail afin de solliciter ses propositions quant au reclassement du salarié.

En l’absence de précisions suffisantes, l’employeur a donc tout intérêt à rappeler ses obligations au médecin du travail et à l’inviter à fournir l’ensemble de ces précisions.

Nous pouvons donc légitiment penser, qu’outre le ou les avis d’inaptitudes rendus à l’issue du ou des examens médicaux,  les réponses apportées aux demandes de précisions de l’employeur, rentrent dans la catégorie des conclusions écrites et indications du médecin du travail devant être prises en compte dans l’offre de reclassement et citées dans les articles L.1226-2 et L.1226-10 du Code du travail.

Dès lors, l’employeur est-il lié par ces préconisations du médecin du travail, postérieures aux avis d’inaptitude?

La Cour de Cassation s’était déjà prononcée sur cette question dans un arrêt du 2 juin 2010, n°08-45.020, et avait estimé que les observations du médecin du travail, même ultérieures aux visites de reprise, peuvent être prises en compte par l’employeur pour le reclassement de son salarié.

Elle censurait alors la Cour d’appel, qui affirmait que les observations ultérieures formulées par le médecin du travail à la demande de l’employeur par courriels, sans nouvel examen de la salariée, ne pouvaient ni s’apparenter à des examens complémentaires ni avoir pour effet de modifier les conclusions initiales relatives à l’inaptitude.

Dans une décision récente du 15 décembre 2015, la Cour de Cassation affirme sans ambiguïté, que dans le cas où l’employeur interroge le médecin du travail pour avoir des précisions sur son avis d’inaptitude ou sa position sur des postes de reclassement, cet avis lie l’employeur pour sa recherche de reclassement. (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 15 décembre 2015, n°14-11.858)

Dans le cas d’espèce, un salarié avait été licencié par son employeur suite à son inaptitude à tout emploi dans l’entreprise et plus exactement en raison d’une inaptitude relationnelle envers toute la hiérarchie au sein de l’entreprise.

L’entreprise appartenait à un groupe qui disposait de plusieurs filiales à l’étranger.

Il est rappelé sur ce point, que le fait que le médecin du travail ait déclaré le salarié inapte à tout emploi dans l’entreprise, ne dispense pas l’employeur de son obligation de reclassement. (Cass.soc., 7 juillet 2004, n° 02-43.141)

L’employeur doit alors rechercher des postes de reclassement dans l’entreprise et le groupe, et solliciter au besoin les préconisations du médecin du travail.

Dans l’affaire qui nous intéresse, l’employeur avait bien demandé des précisions au médecin du travail sur la possibilité d’un reclassement de la salariée dans un établissement à l’étranger, ce à quoi, ce dernier répondait que même un reclassement à l’étranger était impossible, au vu des liens hiérarchiques pouvant perdurer avec la salariée.

Et les hauts magistrats d’affirmer en conséquence que :

« si l’avis du médecin du travail déclarant un salarié inapte à tout poste dans l’entreprise ne dispense pas l’employeur, quelle que soit la position prise par le salarié, de son obligation légale de recherche de reclassement au sein de cette entreprise et, le cas échéant, du groupe auquel celle-ci appartient, les réponses apportées, postérieurement au constat régulier de l’inaptitude, par ce médecin sur les possibilités éventuelles de reclassement concourent à la justification par l’employeur de l’impossibilité de remplir cette obligation »

Dès lors, l’impossibilité de reclassement de la salariée état avérée et le licenciement pour inaptitude de cette dernière justifiée.

En conséquence, l’employeur est bien lié par les précisions ultérieures apportées par le médecin du travail qui reste l’interlocuteur incontournable de la procédure de reclassement.

Pour finir, notez que la Cour de Cassation s’est prononcée très récemment face à un employeur qui affirmait qu’il est inconstitutionnel de maintenir l’obligation de reclassement du salarié en cas d’avis d’inaptitude à tout emploi dans l’entreprise et en l’absence de toute indication du médecin du travail sur l’aménagement d’un autre emploi approprié aux capacités du salarié. (Cass. soc. QPC du 13 janvier 2016, n° 15-20822)

La Cour de Cassation ne transmet pas la Question Prioritaire de Constitutionnalité et juge qu’il n’y a aucune contradiction à exiger de l’employeur qu’il assure le reclassement du salarié déclaré « inapte à tout poste dans l’entreprise ».

La Cour estime que la procédure applicable n’empêche pas l’employeur de procéder au licenciement du salarié lorsqu’il justifie de l’impossibilité de le reclasser, après avoir sollicité à nouveau le médecin du travail sur les aptitudes résiduelles du salarié et les possibilités de reclassement, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail.

Arrêt analysé dans l’article : Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 15 décembre 2015, n°14-11.858

http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000031652308&fastReqId=771423744&fastPos=1

Maître Jérémie AHARFI- Avocat Droit du travail Toulouse 

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