Maître Jérémie AHARFI revient sur le congé menstruel dans le Huffingtonpost

9 mars 2019

Lien de la tribune : https://www.huffingtonpost.fr/jeremie-aharfi/le-conge-menstruel-nexiste-pas-en-france-mais-des-alternatives-voient-le-jour_a_23684472/

Nous sommes le 8 mars, comme chaque année pour la journée internationale des droits de la femme, c’est l’occasion de rappeler la condition de celle-ci dans le monde du travail.
L’inégalité qui vient en premier à l’esprit, c’est bien entendu celle afférente à la rémunération de la salariée inférieure en moyenne de 26% à celle d’un homme. De là naîtra l’idée pour certaines d’entre elles d’arrêter de travailler gratuitement à compter de 15H40.


Au delà de ces moyens de sensibilisation, est-ce que la réglementation en droit du travail pourrait aider à faire avancer les mentalités et les droits des femmes sur d’autres thématiques liées au travail. On peut penser par exemple à la qualité des emplois proposés mais aussi à un véritable droit égalitaire entre hommes et femmes dans l’exécution de la charge de travail confiée par l’employeur. En effet, la disponibilité d’une salariée est-elle vraiment la même quand elle est mère de jeunes enfants par exemple ou plus récurrent quand elle a ses règles, de surcroît douloureuses pour plus de la moitié d’entre elles, chaque mois de l’année.


Nous allons donc nous intéresser à l’état de santé de la salariée dans le monde du travail et à la possibilité d’un droit opposable au congé menstruel, oui vous avez bien compris menstruel et non congé mensuel. Celui-ci consisterait à prévoir dans le Code du travail, pour les femmes souffrant de « dysménorrhée » (règles douloureuses) plusieurs jours de congés payés supplémentaires par mois, en général 2 à 3 jours rémunérés par l’employeur.
L’idée d’un tel congé a pour origine le monde médical (gynécologues), et il est déjà appliqué dans certains pays d’Asie comme le Japon ou l’Indonésie et a été très sérieusement discuté devant le parlement italien en 2017.

On peut penser à premier abord que celui-ci ne pourrait être qu’un frein supplémentaire à l’embauche des femmes ou à leur avancement professionnel sans parler du fait qu’une telle mesure pourrait donner l’occasion aux collègues et responsables hiérarchiques de la gente masculine de dénoncer une discrimination positive ou une inégalité de traitement. On peut enfin craindre une atteinte au secret médical. On imagine mal la salariée transmettre son certificat médical ou le calendrier de ses cycles menstruels à la direction des ressources humaines pour poser ses congés. En l’état actuel, ni un congé ni même un arrêt de travail, qui sont tous les deux des cas de suspension du contrat de travail, n’obligent le salarié à transmettre des informations sur son état de santé à son employeur. Se posera aussi la question de la rémunération ou non du congé, celui-ci se distinguant de l’arrêt de travail indemnisé par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie et non par l’employeur mais seulement après un délai de carence de 3 jours..(outre dispositions conventionnelles plus favorables à la salariée).

Alors quel est le cadre défini par le droit du travail applicable pour mieux apprécier l’opportunité d’un tel congé?
Rappelons tout d’abord que le droit à la santé du salarié est un droit fondamental. Aussi, l’employeur a une obligation de résultat ou tout le moins de moyens renforcés en matière de santé de son salarié dont il doit éventuellement répondre devant un Conseil de prud’hommes.

En outre, un principe de non-discrimination est rappelé à l’article L1132-1 du Code du travail de sorte qu’aucun salarié ne peut être discriminé en raison de son sexe. Comprenez pas de traitement de faveur ou de défaveur à l’égard des femmes en tous les cas sur les textes.

Plus récemment, la chambre sociale de la Cour de Cassation a rendu un arrêt très intéressant (N°15-26262 )le 12 juillet 2017 en jugeant qu’il était possible par accord collectif, de faire bénéficier aux seuls salariés de sexe féminin d’une demi-journée de congé supplémentaire, le 8 mars, l’écho généré par une journée de mobilisation internationale permettant une mise en lumière particulièrement forte des inégalités de fait qui pénalisent encore spécifiquement les femmes dans le milieu professionnel. Pour motiver sa décision, la Haute Cour rappelle que le Code du travail permet, dans le cadre d’un plan pour l’égalité professionnelle entre les sexes, que des mesures provisoires soient prises au seul bénéfice des femmes dans le but de remédier aux inégalités de fait qui affectent leurs chances d’une part (sur la base de l’article L1142-4 du Code du travail) et que le droit de l’Union européenne (traité d’Amsterdam) permet d’accorder aux femmes des avantages spécifiques afin de prévenir ou compenser des inégalités dans le déroulement de leur carrière professionnelle d’autre part. Dès lors, un salarié de sexe masculin qui contestait cette mesure n’était pas fondé à dénoncer une inégalité de traitement à son égard du fait qu’il faisait aussi parti des effectifs de la société et qu’il n’avait pas bénéficié d’un tel avantage.


Par conséquent, il ne s’agissait plus d’une discrimination positive mais d’un rétablissement de l’égalité des chances.

Du point de vue du juriste, cette décision est très discutable car en premier lieu, la Cour de cassation considère qu’il s’agit bien d’une mesure visant à rétablir l’égalité des chances et conforme au principe d’égalité de traitement entre les sexes quand dans le même temps elle ne revient pas sur la décision de la Cour d’appel qui avait définitivement alloué des dommages intérêts au salarié homme pour inégalité salariale. En second lieu, car cette mesure n’a pas vocation à être provisoire comme le requiert le Code du travail. En réalité, la Cour a souhaité envoyer un message d’encouragement à l’égard des employeurs sensibles au sort de ses salariées plutôt que définir un nouveau cadre juridique à la discrimination positive pour les femmes.

Par essence, les règles douloureuses ne concernent que les femmes, est-ce qu’il y a là une inégalité des chances de la salariée face à son état de santé et qui pourrait justifier par accord collectif l’octroi d’un congé supplémentaire? Est-ce pour autant la bonne solution? Rien n’est moins sur.

Plusieurs dispositifs sont à la disposition de l’employeur pour permettre de combler indirectement ces inégalités sans pour autant être générateur d’une plus grande discrimination des femmes (exemples : mise en place d’actions de formation et d’adaptation au poste à destination des femme, afin qu’elles accèdent en plus grand nombre à ce type de poste, réduire les écarts de rémunération en allouant un budget à cet effet après analyse de la classification professionnelle) et ce d’autant plus que dans les pays qui l’ont adopté, les femmes ne l’usent que très peu de peur des inégalités de carrière qui pourraient en découler.

La solution se trouvera plutôt du côté du télétravail dont la mise en place a été facilitée dernièrement par la loi de ratification des ordonnances Pénicaud du 31 mars 2018 qui reconnait clairement la pratique du télétravail occasionnel. A défaut de charte ou d’accord collectif, un simple échange de mails entre employeur et salarié peut formaliser la mise en place d’un télétravail occasionnel. Autre avantage, c’est désormais à l’employeur de motiver de manière objective son refus d’accorder des jours de télétravail à ses salariés.


Le télétravail aurait l’avantage de ne pas suspendre le contrat de travail, synonyme du versement de la rémunération, tout en permettant l’exécution de la même prestation de travail que ses collègues masculins au même poste mais dans un cadre adapté.

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Maître Jérémie AHARFI dans La Dépêche sur le thème des heures supplémentaires pour l’Ordre des Avocats de Toulouse

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